c - Le Temps - Chroniques de Malachite -

Un matin alors que la lumière était déjà bien éveillée, elle décida d’expliquer à ses enfants la métamorphose constante de notre physique au cours de nos années d’existence terrienne.
Bien sûr elle passa sur les premières années de croissance avec rapidité et sans beaucoup d’intérêt. On avait déjà tout dit et tout expliqué. Mais après les 40 quadruples saisons, les choses se gâtaient. Plus rien n’était raconté en dehors d’une déficience de tonus, de santé la plupart du temps, de muscles et d’endurance.
Une chose n’était jamais abordée. Ce qui continuait à pousser et pousser, tous les jours d’une vie ou presque. Il y avait les cheveux que nous perdions mais qui passait leur temps à réapparaître, à s’allonger, à se cramponner à leur codification. Ils changeaient de couleurs et gardaient leur forme. Les plus résistants continuaient ce qu’ils avaient toujours fait. Ils poussaient.
Les poils de toutes sortes participaient à ce renouvellement de l'apparence donnée à chacun d’entre nous.
Sur le torse, sur les jambes bien qu’ils tendent à disparaître chez beaucoup. Notamment chez les femmes, quel enchantement de ne plus avoir cette colle à poser sur la peau et à retirer avec rapidité en retenant son souffle de peur de tout faire sursauter. Fi ! de ces multitudes de petites pinces qui ont pour fonction d’agripper la naissance du poil et de le tirer en chantant. Ou de cette mousse bien aérienne par son poids et si pesante par les effluves qu’elle dégage. Et puis cette mousse se liquéfie la plupart du temps, au contact des 36° que dégage une peau bien portante. Elle se met alors à couler doucement, fermement et en puant. D’un geste rapide, une main se met à courir après cette crème pour la retenir. Car celle-ci libérée de son tube décide de retourner vers la terre là où son poids sera porté par un autre.

            Alors à quoi donc pensait Malachite.
Il y avait des appendices dont tout le monde était pourvu et qui étaient tus. Malachite ne pensait pas à ces parasites qui prennent naissances sur les orteils couronnant le bout des pieds. Elle ne songeait pas plus aux déformations des mains et autres membres dues à la dégénérescence d’activité de certaines cellules.

Non, il s’agissait du visage de chacun et de tous. Regardez les Vieux ! disait-elle à ses enfants. Observez-les et vous verrez, vous vous rendrez compte d’une chose commune à tous. Ce n’était pas la peau qui s’allongeait par vague de plis vers notre mère la terre. La peau qui invariablement ne luttait plus contre l’attraction terrestre. Ce n’était pas non plus les sillons dus à la lente corrosion manoeuvrée par le temps. Non, Malachite demanda à ses enfants de regarder leur nez si joli, si rond et si petit. Puis elle leur mit sous les yeux la photo de grands mères et de grands pères d’un âge certain.
Considérez leur nez, de face de trois quarts et de profil. Observez comme ils sont grands
.
Cet appendice s’affine, se précise, se personnalise avec le jeune adulte. Il s’arrête de pousser pendant une petite vingtaine d’année puis se remet dans la course, la quarantaine aidant. Et pendant les nombreux tours de calendriers suivants, il s’affirme, s’aiguise et épaissi. Il s’impose au visage alors que les yeux choqués par cet  espace accaparé, deviennent tout ronds et tout petits. Ils semblent déroutés par autant d’assurance et leur réaction se fait contraire. Ils se rétractent et rentrent dans leur orbite. Ils cherchent à occulter tout ce dont ils ont été témoins. Spectateur d’une vie, ils l’accompagnent souvent d’une perte de vue.

Capture-d-ecran-2010-04-30-a-14.03.11.png            Et puis après le nez, les yeux, il reste les oreilles… Ces oreilles, que beaucoup ne peuvent plus cacher derrière des cheveux. Elles se remettent à pousser, de la même façon que le nez. Elles ont tout entendu, mais deviennent curieuses avec le temps, Entendons par là, étonnantes avec le temps. Alors elles se décident à s’étirer vers le bas afin de dilater le canal auditif et d’entendre ce qui semble murmuré à 180°, de la moitié d’un nez à la moitié d’une nuque. Ainsi les deux oreilles balaient l’ensemble de la tête et guide notre homme à la manière d’un radar.
Il est souvent dit que le Sage a de longues oreilles dues à l’écoute qu’il porte sur le monde. Le Sage a vécu beaucoup d’expériences alors le vieux se fait sage et ferme son écoute lorsqu’il a envie de fermer les yeux.

Oui, semble-t-il,
 - Néanmoins tout ceci n’est que leurre 
… ajoute Malalchite. C’est sans compter sur la lassitude, d’avoir tout entendu et tout vu. Notre homme devient sourd. Il a souvent l’oreille dure. Elle s’épanouit et réclame qu’on lui crie dedans. Alors l’œil, tout rond, rentre rapidement dans sa caverne. Quant au nez, il inspire et façonne des bulles agrémentées de franges de poils qui eux ne s’arrêtent jamais de pousser.
Malachite se sentit tout d’un coup fatiguée et inquiété par ce temps qui ne s’arrêtait jamais. Où allait-elle ? Que devait-elle faire ? Où la vie la dirigeait ?Capture d’écran 2010-04-30 à 14.03.18-copie-1

Que de questions elle se posait. Son esprit ne quittait plus l’image de la vieillesse.
Nous hommes, si attendrissant par toutes les épreuves que nous subissons sur notre parcours, que devenons nous ?
Elle se projetait ces personnes âgées qui se courbaient pour la plupart, qui soulevaient lentement et durement un pied afin de le propulser en avant puis, se concentraient sur le deuxième et recommençaient le même effort. Elles balançaient le haut du corps à la manière d’un métronome qui marque les temps d’une partition en clé de Sol, d’Ut ou de Fa. Ou d’une pendule qui pointe chaque seconde écoulée. Elles se penchaient à l’opposé du pied sollicité pour l’alléger, à droite puis à gauche une fois que l’engin avait retrouvé le sol. Elle les imaginait pliées en deux et dans un élan se redresser d’un bond, la tête sortit du cou et les deux bras tirés vers le haut. Malachite s’était rendue compte des besoins de s’étirer qui croissaient avec le temps.
Le corps se rouille et dans un sursaut se réveille lutte et réagit. Il a besoin de tirer sur les muscles, de tendre les artères pour les aérer. La circulation semble se délier, l’air passe dans tous les coins, jette même un œil dans les impasses.
Le poids des ans et néanmoins très lourd et très vite il se recourbe et retombe les bras ballants.

La Grand mère et le Grand père reprennent leur route lentement. Ils reniflent un coup, tendent l’oreille aux bruits de la rue. Ils soulèvent un pied, l’autre pied, se regardent en souriant et d’un bond se redressent, tirent leurs bras de chaque côté de leur corps et les tendent le plus loin possible. Ils sentent leur cage thoracique se détendre du poids de la chair si chère à leur cœur.

Malachite s’étira des orteils de pieds aux bouts des doigts des mains et jusqu’aux oreilles.
  - Que c’est bon la vie ! 

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